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 Nous poursuivons notre cycle de rencontres  avec, cette semaine, une initiative originale ! Nous avons voulu interviewer Sylvie Verbois, ethno-thérapeute et spécialiste des traditions chinoise et indienne depuis plus de trente ans. Auteure de « La médecine indienne : Fondements et pratiques de l’Ayurvéda », elle vient de publier « La diététique indienne » et « Les chakras, Exercices de méditation » aux Editions Eyrolles. Face à tout ce qu’elle avait à nous dire sur l’Ayurvéda et sa méthode de soin, vous avons décidé de changer les règles de l’interview et de… lui rendre la plume ! Voici son papier. Armanda Dos Santos                                      

 

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur… l’Âyurveda !

 

sylvie verbois

Née en Inde il y a quelques 7000 ans, l’Âyurveda, à la fois philosophie, spiritualité, médecine et art de vivre, propose un chemin de santé où nous sommes responsables de notre bien-être. Elle est aussi la plus ancienne médecine toujours exercée, appliquée, enseignée aujourd’hui. Médecine inspirée, perçue comme science sacrée de la guérison, l’Âyurveda repose sur le védisme et puise sa pensée comme sa sagesse au cœur même des Veda.

 

 

S’appuyant sur l’aspect ternaire (corps, esprit, âme) de tout être, l’Âyurveda s’intéresse à tous les aspects de la vie humaine ainsi qu’à l’expression des maladies dans le domaine physique, physiologique, mentale et spirituel.

 

L’Âyurveda possède une vue extrêmement précise de ce qu’est la « bonne santé » et préconise un certain nombre de mesures pour y parvenir. Dans la CharakaSamhitâ (texte fondamental des principes âyurvediques), on peut lire : « La bonne santé (âyus) se résume à la parfaite harmonie du corps, des organes sensoriels, du mental et du Moi (âtman). On lui connaît quelques synonymes tels : conservation (dhâri), vie saine (jîvita), équilibre constant (nityaga), durée (anubandha). »[1]. Il est souligné que le terme « santé » renferme trois expressions synonymes : «  la persistance de la conscience introvertie (cetanâvrtti), le mouvement naturel de la vie (jîvita), le flux ininterrompu d’énergie (anubandha). On y ajoutera tout ce qui permet au corps de survivre (dhâri). »[2]. Dépassant de très loin notre approche de la santé, cette définition augure l’ouverture d’esprit avec laquelle la conscience thérapeutique et le soin préconisé réfléchissent la maladie et l’être en souffrance.

 

La conscience indienne du corps est alchimie spirituelle, vision magique et divine côtoyant conceptions logiques et analyse rigoureuse. Elle accueille le corps incarné tel une ouverture vers une autre forme de la réalité. Fourreau matériel, le corps est instrument privilégié où se déploie les forces vives de la vie, et itinéraire où cohabitent flux énergétique, facultés de conscience, étoffes des sens, éléments cosmiques, principes animateurs, esprit, intuition, âme et Absolu (Purusha).

 

Médecine de prévention et d’harmonisation

 

Dès son origine, l’Âyurveda propose une hygiène de vie générale et définit des règles de vie adaptées à chacun tout en respectant les rythmes biologique, énergétique ou saisonnier. Elle restaure l’équilibre entre l’être et son milieu, l’esprit et le corps souvent en bataille : entre corps-matière (charnel) et corps-intérieur (spirituel). Portant une attention toute particulière à la prévention et à la responsabilité de chacun quant à son état de santé, elle insiste notamment sur l’harmonisation de l’être avec son milieu ambiant et l’univers, préconise le renforcement des défenses naturelles permettant au corps de réagir directement au moindre signe. Elle souligne également l’importance de l’anticipation sur une dégradation potentielle des défenses naturelles.

 

Prévenir et anticiper facilite l’application des soins et encourage la guérison. Ainsi, la recherche du bien-être se révèle être essentiel pour parvenir à l’harmonisation intérieure, comme prêter attention à l’énergie du souffle (prâna), car c’est avec lui que toute vie commence : il doit donc être protégé afin de protéger la Vie. D’autres recommandations viennent parfaire cette approche : être et demeurer en harmonie avec l’ordre universel (dharma) et avec Soi (conscience) ; viser la perfection dans la gestion des richesses (artha[3]), entreprendre une activité : le confort matériel est utile, et le travail un moyen de subsistance nécessaire à l’existence ; veiller à la juste perception sensorielle, rester attentif aux sens (kâma[4]) et les contrôler si nécessaire ; conserver une vue adéquate en fonction des situations rencontrées ; se libérer de la dualité,… : « L’esprit (où domine le sattva), le Soi dans l’individu (âtman) et le corps constituent la triade définissant l’être vivant. La personne ayant pris pleine conscience de cette unité est alors l’Homme essentiel (purusha ou pums), le vrai réceptacle de ce Veda. C’est en cet être-là que l’Âyurveda se manifeste dans tout son éclat. »[5].

 

  • Responsabilité

 

Pour la pensée âyurvédique, chacun est entièrement responsable de son état de santé. En effet, tout procède de l’être, de son homogénéité comme de sa concordance intérieure, et provient de sa verticalité, c’est-à-dire de l’entente naturelle entre les quatre Moi (1er çakra) et le Soi (çakra supérieurs) : ses racines et sa cime. Le moindre désaccord faisant naître un différend à l’intérieur du corps, veiller à ce que l’accord entre esprit, psychisme et âme soit préservé, se révèle donc primordial. Cet accord est toutefois fragile et dépend, pour une large part, de la façon dont l’être appréhende son existence, de son comportement et de sa sensitivité.

 

Dans l’Âyurveda et les yogas, le mot çakra illustre des espaces par où circule l’énergie subtile interne et externe du corps astral des êtres vivants. Les çakra ne sont pas, à proprement parlé, des organes matériels, mais des nuances énergétiques délicates, des portes, des trouées traversant l’être de part en part. Chacun d’entre eux répond d’une symbolique spécifique et correspond à un niveau de conscience, un palier de désirs, une élévation d’âme. Aucun n’est meilleur que l’autre, ni supérieur à l’autre. Ils forment un Tout cohérent, inaltérable, indivisible et n’ont raison d’être qu’ensemble. Nul n’est besoin de vouloir en activer l’un plus que l’autre, ils sont totalement fondamentaux et indispensables au bon fonctionnement des flux énergétiques corporels. Au cours de sa vie, l’être humain ne cesse d’évoluer de l’un à l’autre. Etendue de compréhension, lieu de motivation, les çakra transportent émotions, affectivité, humeurs. Ils sont les véhicules précieux de la conscience. Grâce à eux, l’Énergie ne cesse d’aller et venir, de se mouvoir et d’animer le corps en un ruissellement incessant, venant nourrir l’organisme de la force vitale émise par la Nature réceptionnée par ces réceptacles bien particuliers, non visibles à l’œil profane.

 

Les çakra sont la conscience des sens permettant d’appréhender le monde intérieur et extérieur. Par eux, l’être désire, pense, ressent, vibre, consent. Antennes tactiles tenant en éveil, la fermeture, le blocage ou la dysharmonie de l’un d’entre eux entraîne immédiatement obscurcissement de la conscience et arrêt de la libre circulation du flux énergétique. Par répercussion spontanée, la corporéité est en alerte. Une pression (stress) va s’exercer sur une partie de l’organisme : le corps charnel se met en « mal » : un léger malaise est ressenti, puis un mal plus profond, qui peut aboutir à une véritable maladie ; l’esprit vagabonde en proie à l’inconstance, à la dispersion, ne cessant d’aller et de venir, butiner ça et là sans parvenir à s’accorder ; l’âme entre dans le silence et disparaît de la conscience, elle se tait et se terre.

 

Veiller à ce que l’accord entre esprit, psychisme et âme soit préservé se révèle primordial, le moindre désaccord interne faisant naître un différend, une dissonance à l’intérieur du corps.

 

  • Harmonie

 

Le désir de vie (avoir goût à la vie) et l’espoir vital sont facteurs spontanés d’équilibre. Bien se nourrir, être attentionné à ce que l’on absorbe, pense et ressent favorise la plénitude et suscite la cohésion entre les différents composants de l’être : « Ce que l’on considère comme salutaire ou sain (pathya) se résume à ce qui ne nuit pas au corps et se trouve en accord avec nos besoin, selon le tempérament de chacun. »[6]. L’une des bases pour préserver l’harmonie est de s’alimenter en conscience c’est-à-dire être attentif au Soi (âtman), savoir entendre les réels besoins du corps sans les réprimer, s’entretenir avec attention, prendre plaisir à la vie et déguster ce qu’elle offre, mener une existence saine en accord avec sa nature, ainsi : « Celui qui mange sainement et contrôle sa vie et sa santé vivra trente-mille nuits (c’est-à-dire cent ans)… »[7].

 

  • Système immunitaire

 

L’Âyurveda prête une attention toute particulière à la qualité de vie, l’alimentation, l’hygiène personnelle et l’entretien du corps. Préserver l’immunité et renforcer journellement les défenses naturelles du corps est l’un de ses impératifs premiers. Pour ce faire, les aliments, notamment les épices, contribuent largement à la protection et au soutien du système immunitaire. En effet, si l’on apporte une alimentation insuffisante, l’immunité régresse. Les excès en tous genres : exercice physique, jeûne, réactions émotionnelles trop vives, trop manger, etc. sont considérés comme néfastes et abîmant les défenses naturelles. La diététique âyurvédique insiste grandement sur ce point et se montre extrêmement vigilante sur les qualités nutritives et l’état d’esprit avec lequel elles sont absorbées par le corps.

 

  • Prévention

 

La prévention est l’un des fers de lance de l’Âyurveda. Si l’on anticipe aux altérations éventuelles, à partir de l’instant où l’on connaît son corps, son mode réactionnel et sa capacité de défense, il est tout à fait possible de devancer la maladie comme de se prémunir des agressions potentielles provenant de facteurs extérieurs (climatique, environnemental, existentiel), ou tout du moins, en atténuer l’incidence voire adoucir les effets.

 

L’Âyurveda insiste grandement sur la prévention afin que le corps ne parvienne pas à des états d’épuisement. L’élimination comme la purification régulière de l’organisme est une nécessité, sans oublier bien sûr l’esprit et l’âme qui doivent aussi être nettoyés et purgés de la toxémie mentale, des poussières spirituelles liées aux pratiques et des altérations émotionnelles, car le mental ne cesse de déposer des débris dommageables pour le Soi et l’environnement : pensée, émotion, énergie psychique, confusion, polluant ce qu’il touche à plus ou moins haute dose selon ses états d’âme. Pour cela, l’Âyurveda possède de nombreuses méthodes adaptées à chacun : régimes (diètes, jeûne, cures), rééquilibrage alimentaire, massages, yoga, méditation, écoute et accompagnement spirituel, etc.

 

L’Âyurveda a développé des techniques corporelles pour pallier aux flétrissures humaines. Elle s’est appliquée à répondre en conseillant une hygiène de vie concernant le corps, l’esprit et l’âme :

 

–          par l’utilisation des plantes, épices et fruits, il est possible de drainer efficacement l’organisme comme de l’entretenir

–          par des règles diététiques basées sur des principes simples et applicables au quotidien, il est envisageable de se nourrir avec plaisir et sans désagrément particulier, il suffit pour cela d’être attentif aux associations alimentaires nocives, source d’embarras digestif

–          par les exercices de yoga, le travail sur la respiration ou la méditation, fortement préconisés pour l’entretien de la corporéité et la dégager de toute morbidité.

 

Attention de chaque jour portée à son corps, la santé n’est ni un luxe ni une ascèse, elle est naturellement « Bien Être ».

 

 

Agni, le Feu digestif

 

Un autre point essentiel de l’approche âyurvedique est la prise en compte du feu digestif, cette énergie interne permettant de digérer et assimiler correctement tout ce qui nourrit l’être (aliments, émotions, sensations, sons, paroles, ce qui émane de l’environnement, etc…)

 

Pour préserver le corps et assurer sa pérennité, la qualité et la puissance réactive du feu corporel (Agni) se révèle être la clé de voûte indispensable et nécessaire pour maintenir et soutenir le parfait fonctionnement du métabolisme. Bien digérer sa vie, l’assimiler correctement, être en conscience et dans l’instant présent est la clé de voûte sur laquelle repose en grande partie notre force vitale.

Les traités âyurvédiques insistent constamment sur l’importance d’absorber des nourritures de qualité correspondantes au tempérament de chacun, un juste équilibre entre solide (aliments) et liquides (boissons) afin de nourrir correctement le corps, de stimuler et soutenir le feu digestif, facteur majeur de bonne santé : « De la puissance du feu digestif découlent la force, la santé, l’espérance de vie et le souffle vital (prâna). »[8]

 

Agni règne en maître sur les facultés digestives et cérébrales. Il touche à la fois le corps et l’esprit pour mieux transfigurer l’âme. Il est le feu indispensable et le plus puissant parmi les feux animant notre organisme : les cinq éléments et les sept tissus vitaux possèdent chacun leur propre feu. Chaque tissu a son propre « agni » (feu), qui correspond aux enzymes et aux sécrétions nécessaires à la création du tissu. Agni favorise leur révolution interne. Chacun d’eux répond d’un cycle de pénétration et de passage d’un tissu à l’autre, contrôlé et activé par un feu spécifique. Cet engendrement ne doit pas cesser, sinon le déroulement naturel et spontané du cycle se trouve entravé, voire arrêté, et peut entraîner de graves dysfonctionnements pour le corps.

 

Lors du processus digestif, il va dissocier l’Espace, l’Air, le Feu, l’Eau et la Terre existant dans les aliments, activant le feu comporté dans chaque élément. Il y a un feu de l’Espace, un feu de l’Air, un feu du Feu, un feu de l’Eau et un feu de la Terre. Cette alchimie nourricière prend toute sa puissance dans le foie (d’énergie Feu) avant de réaliser la transformation du bol alimentaire. Ce dernier, après cette transmutation, va être à la fois porteur des cinq éléments provenant des nutriments modifiés, et des éléments composant le corps humain. Agni est une force dynamique fondamentale qui permet à tout ce qui constitue notre corporéité d’agir, de vivre et d’œuvrer en une synergie parfaite.

 

Agni contrôle l’ensemble des changements du corps (incluant à la fois le corps – matière – et l’esprit – pensées). Nous pouvons parler d’évacuation et de recyclage, ceci allant de l’élément le plus compact au plus subtil. Cet ensemble de transformations comporte à la fois l’absorption des nourritures (aliments, air, pensées, émotions, sentiments, « environnement »…) et la digestion. Il touche à la fois l’appareil gastro-intestinal avec ses différentes phases métaboliques, les cellules (qui ne cessent de se transformer), le cérébral (par l’assimilation de nos perceptions mentales et sensorielles) : on peut évoquer le système nerveux et ses résonances sur l’équilibre interne du corps (par le biais des expériences émotionnelles).

 

Qui est ce « Je » ?

 

La perception indienne de la corporéité dépasse de très loin la simple réalité physique. Le corps est scruté comme une combinaison de structures internes et externes physiologiques, biologiques, bioénergétiques, quantiques, anatomiques, vibratoires, autour et dans lequel se meuvent énergies, formes, couleurs, artères subtiles, force vitale et principe de vie : « Le corps est défini comme le siège de la conscience (cetanâ), composé de l’amalgame complexe issu de la production des cinq éléments fondamentaux (mahâbhûta). »[9]. Il est une surprenante entité où cohabitent molécules, émotions, sentiments, pensées, ego, organes, tissus vitaux, flux énergétiques, esprit, mental, psychisme, humeurs, cellules, et constituée de corps différenciés. Peuplé d’impressions, doté de perceptions, affecté de sensibilité, il est appréhendé avec attention et un soupçon de recueillement : « Qui » accueille-t-on au fond de lui ? Car l’être humain n’est pas seulement Cela : ce corps, il est aussi une fraction du Divin. Réceptacle de l’âme, il est apprécié comme une véritable maison de vie et vénéré tel un temple au cœur duquel réside Âtma, le Soi (l’Absolu).

 

Par sa naissance, l’être humain est un être différencié et animé, il est Jîva, « né vivant », âme et vie. À l’image de l’Arbre de la Connaissance, il est un arbre renversé, racines vers le ciel la cime en terre. Notre naissance est une chute sur terre, en terre. Nous tombons du ciel comme les eaux du Gange dans le monde.

 

Enveloppe de l’âme, notre corps est corps d’Énergie. Tissé de perceptions, de sens, de sentiments, d’émotions, de pensées qui œuvrent de concert, il est une partition de musique écrite sur trois cordes (Guna). L’être humain n’est pas seulement un corps ordinaire. Il n’est pas simplement une belle mécanique corporelle composé de tissus, de cellules, d’organes, de nerfs, de vaisseaux, il n’est pas qu’un corps biologique ou un cerveau. Il est cœur spirituel, Esprit et Âme, Conscience, poussière de l’Énergie primordiale, manifestation du Divin.

 

L’être découvre les possibles de son corps, il l’observe, l’entretient, lui prodigue attention et soins. Nous sommes loin cependant du narcissisme, le corps est compris comme le lieu de témoignage divin, à la fois sanctuaire et champ de bataille où se joue la reconquête par l’homme de sa nature authentique : la rencontre de la force organique (corps) et de la force cosmique (univers), l’être est une structure énergétique organisée établissant des modes de relations humaines avec son environnement, il est réalité constitutive du Vivant et voie vers la connaissance du Soi (Absolu et individuel).

 

Dosha, constitution et terrain

 

Tout être humain est constitué des cinq éléments cosmiques, répartis en des proportions différentes selon chacun. Cette répartition va déterminer la nature profonde de chaque être, agençant sa constitution de base ou Dosha[10], le terrain et son mode réactionnel, la force vitale en un Tout unique. L’Âyurveda distingue trois Dosha agissant respectivement sur les plans corporel, sensitif, cérébral (esprit) et spirituel (âme). Principes qualitatifs composant tout être, ils gouvernent l’ensemble des fonctions physiologiques et psychologiques de l’être humain, formant les trois constituants corporels appelés Vâta, Pitta, Kapha, issus des cinq éléments couplés (Espace, Air, Feu, Eau, Terre), venant régir la délicate relation corps – esprit – âme. Un équilibre relatif des trois Dosha préexiste à la  naissance. Ils sont potentialité, alternative et choix qui s’exprimeront en fonction de la façon dont l’être extérioriser, incarner et développer sa destinée.

 

Si l’Âyurveda précise qu’à la naissance, chaque être est constitué d’un seul Dosha demeurant constant durant le cours de l’existence, il est très rare toutefois d’être un tempérament pur. D’ailleurs, les penseurs indiens l’avaient déjà remarqué il y a quelques  trois mille ans, en expliquant qu’un être ne pouvait plus être formé d’un seul et parfait Dosha en raison des mélanges existants. Par cette expression de « mélange », ils entendaient les unions entre peuples différents (l’Inde est un patchwork de tribus), les modifications climatiques déjà notables à l’époque, les voyages et les déplacements de populations (phénomènes habituels en Asie), les changements de nourritures, l’apport d’ingrédients provenant d’autres régions, etc. Ils insistent également sur le fait que cet ensemble de facteurs perturbants a bouleversé de façon sensible et non négligeable le terrain de chaque personne. Il est donc convenu depuis lors, que, bien que l’être se bâtisse à partir d’un Dosha singulier, au long de son histoire et en fonction des événements rencontrés, il oscille vers une ou deux variation constitutionnelle. Tout événement, même le plus infime, détient le potentiel de modifier nettement notre nature, bien que l’on n’en ait pas toujours réellement conscience. Actuellement, d’autres agents viennent se rajouter comme les régimes mal appropriés, les produits de synthèse entrant dans les aliments[11], les médicaments de source chimique, les virus et génies épidémiques, les drogues, les traitements lourds et certains examens médicaux : chimiothérapie, radiothérapie, rayons X, IRM, scanner, etc.  Bien qu’indispensables pour le traitement de maladies graves, les influx des rayons touchent profondément le(s) Dosha en le modifiant de façon conséquente, parfois irréversible. Il en est de même pour  les irradiations, le nucléaire, les pesticides et insecticides agricoles, la pollution industrielle et militaire ou encore celle de l’eau, etc. Bien que le corps ait suffisamment de puissance énergétique et vitale pour faire face à ces intrus, il n’est pas avéré qu’il puisse sur le long terme avoir l’aptitude, et surtout le temps, de s’adapter.

 

  • Terrain et mode réactionnel

 

Le terrain à partir duquel se façonne l’être n’est jamais fixe. Il se modifie, se transforme, évolue, s’adapte de manière continue : il est impermanence et mouvance. De leur côté, les Dosha définissent la disposition réactionnelle et d’accommodement aux fluctuations de l’existence, propre à chacun : par leur biais, l’être s’accommode, s’ajuste et module ses réactions.

 

Un, voire deux, Dosha inné marque le terrain, définissant ainsi l’assise de la vie psychosomatique (sentiments, émotions) et transcrivant les humeurs, qu’elles soient organiques ou psychiques. Les textes indiens parlent de manquements, d’imperfections ou d’erreurs : Dosha évoque alors un défaut de style ou de composition. Marque de fabrique au sein de laquelle s’inscrivent les mémoires héréditaire, génétique, familiale, ancestrale, émotionnelle et karmique, il signale également un élément en dysfonctionnement et une maladie désignée.

 

Les Dosha intéressent le mode réactionnel du corps face à la maladie, touchant la physiologie, la nutrition, le psychisme (émotions, affectivité, façon de penser…) tout autant que la conscience spirituelle. Lieux d’action vitale, toute perturbation, agitation ou trouble dans l’un d’eux possède la capacité de créer un désaccord interne, un déséquilibre fonctionnel et une dissonance énergétique. L’élimination naturelle des altérations et des résidus (physiologique, biologique, énergétique, émotionnel ou encore psychique) se trouve alors interrompue, engendrant un désordre qui se manifestera la plupart du temps sur un plan organique. Ce désordre momentané risque alors de procréer une difficulté potentielle : le corps bute sur un obstacle. S’il est fragilisé, déstabilisé ou affaibli, une dysharmonie peut apparaître. Elle pourra, à son tour, devenir maladie potentielle.

 

  • Caractéristiques des Dosha

 

Il convient de remarquer que les caractéristiques des Dosha s’adressent aux Indiens, et ne peuvent s’appliquer intégralement aux Occidentaux, notamment en ce qui concerne certains traits physiques et psychiques, comme les attirances et réactions liées à l’alimentation.

 

Les Dosha, au nombre de trois, se composent de façon suivante :

–          Vâta constitué des éléments Espace et Air, définit le type sanguin ;

–          Pitta, éléments Feu et Eau, définit le type bilieux ;

–          Kapha, des éléments Eau et Terre, avec une subdivision : l’Eau en prédominance engendre un Kapha dilaté dit de type lymphatique ; la Terre en prédominance génère un Kapha rétracté dit de type nerveux.

 

Il est assez rare, en effet, que les éléments formant un Dosha soient en équilibre parfait et en rapport égal.

 

Dans un premier temps, on peut dire que Vâta agit sur tous les mouvements des fluides corporels (souffle, urine, selles, aliments…), Pitta joue sur l’ensemble des processus physico-chimiques tels que la digestion ou la perception des sens, et Kapha touche plus particulièrement l’hydratation du corps. Nées de l’observation et de la connaissance réunissant expérimentation thérapeutique, réflexion philosophique et déduction méthodique, ces dispositions sont des jalons, des points de repère permettant de reconnaître les modes réactionnels propres à chacun.

 

L’Âyurveda a alloué aux trois Dosha un certain nombre d’adjectifs venant les caractériser et  définissant leurs particularités. Les caractéristiques présentées ci-après décrivent les grandes lignes de chaque tempérament. Elles sont les tendances prédisposant la personne à exprimer telle ou telle qualité. Orientation, indice ou proposition d’être, elles ne sont en aucun cas  arbitraires, figées et définitives. Ici, est évoqué le Vivant, où tout ce qui est doté de vie se meut, évolue, se transforme, se modifie et est relatif. L’adéquation impeccable à la description de chacun des Dosha est rarissime tout comme l’équilibre parfait (c’est-à-dire l’instant où les trois Dosha sont en équivalence) se réalise pour l’immense majorité d’entre nous au moment de la mort.

 

Vâta

Vâta est avant tout la mobilité, le mouvement, l’ensemble des mouvements biologiques de l’organisme : battements, pulsations, pouls, spasmes, palpitations, qu’ils soient amples ou petits. C’est le mouvement au sens large du terme (intérieur, organique, mental, psychique…) et l’espace au sein duquel le mouvement se produit. Vâta est tout ce qui évolue, respire, rythme le métabolisme (la respiration, l’élimination, le rythme cardiaque, les échanges intracellulaires…). Il influe sur le système nerveux, le gros intestin, la vessie (qu’il stimule), les os, la peau, les oreilles et les cuisses.

 

Pitta

Pitta désigne la bile, la chaleur et la transformation de la chaleur. Il agit sur le métabolisme et les sécrétions ainsi que sur les assimilations des expériences mentales. Il est la force qui régit l’énergie physique, la digestion, l’absorption et l’assimilation. Il active le foie, stimule l’estomac, tonifie le pancréas, aiguillonne le duodénum et l’intestin grêle. Sa puissance apparaît dans les yeux, la qualité de la chaleur vitale interne et au niveau de l’éclat de la peau.

 

Kapha

Kapha marque le flegme (lymphe), la charpente de tout et tout ce qui est solide dans le corps. C’est la puissance stabilisatrice de l’organisme pouvant aller jusqu’à l’inertie et l’apathie. Kapha est la force structurante du corps qui relie les éléments constituant notre organisme entre eux, active la force immunitaire. Il lubrifie les articulations, humidifie la peau et la rate, apporte de la vitalité aux tissus vitaux. Il soutient l’énergie du cœur et des poumons. Kapha se trouve dans la poitrine et la gorge, le cou et la nuque, la langue et le nez. Il réside dans les tissus adipeux, l’hypothalamus, les fluides corporels et les articulations.

 

  • Fonctions naturelles des Dosha

 

Vâta crée les réflexes et stimule les nerfs, transmet les impulsions sensorielles au corps et à l’esprit. Il apporte enthousiasme et créativité, les émotions et les pensées s’expriment par ses élans. Il fait couler les larmes, suscite les battements du cœur, encourage l’inspiration et l’expiration, incite les fonctions motrices à s’animer, agit sur la force de vie et maintient la conscience grâce au prâna. Il soutient la circulation du sang, celle de l’oxygène et des substances nutritives, accompagnant les sucs digestifs et favorisant une élimination normale des déchets. Il effectue la transformation subtile et énergétique des tissus vitaux, active l’éjaculation et la sortie facile du fœtus hors de la matrice.

 

Pitta mène toutes les transformations se produisant à l’intérieur du corps et dans l’esprit. Il modifie, résorbe, assimile, permet de comprendre les impulsions sensorielles, d’incorporer les pensées. Il anime l’intellect, suscite la discrimination et la juste compréhension des choses, excite le raisonnement, apporte la joie et la confiance. Il agit sur la digestion, l’absorption et l’assimilation des nourritures : Pitta dévore (aliments, émotions, idées, etc.) et tend à s’identifier parfois beaucoup trop à l’autre en s’appropriant son histoire. Il crée la sensation de faim et de soif, développe l’appétit en le rendant parfois excessif. Il équilibre la température du corps, intensifie l’éclat des yeux, de la peau et de l’intelligence, accentue la vision (chez Pitta, tout passe en premier par le regard).

 

Kapha lubrifie et protège l’organisme, distribue la chaleur à l’ensemble du corps, lui donne fermeté et densité. Il veille sur les muqueuses par sa qualité d’onctuosité, apporte douceur et rondeur au corps et à l’esprit qu’il sécurise et rassure. Il approvisionne le corps avec tout ce qui lui est nécessaire pour être endurant et fort, agit sur la longévité des cellules et sur le sommeil, stimule la mémoire et intensifie le sentiment de compassion.

 

  • Facteurs aggravant les Dosha

 

Vâta est aggravé par le froid prolongé ou les variations brusques de température, le manque de sommeil (Vâta tend à retarder le moment de dormir : il dort peu ou mal), les veillées tardives et le travail nocturne : Vâta est un être complexe qui a besoin de repos et de calme, d’habitudes mais qui est capable de réfléchir, d’étudier, d’écrire, de travailler tard dans la nuit (autour de minuit est le moment où son esprit est le plus créatif et actif) ; les soucis, l’anxiété, les chagrins (qu’il réprime), la peur du lendemain ou de l’inconnu agissent fortement sur son moral ; le « trop » le fatigue : trop de voyages, de déplacements, d’exercices, exagération des sens, de stimulants (alcool par exemple) et de nourritures « froides » (Vâta est attiré par le glacé, les saveurs piquantes, astringentes et amères qui accentuent ses tendances naturelles) ; le jeûne, les lavements internes fréquents lui sont nocifs ainsi que la suppression des besoins naturels : Vâta se sent toujours mieux après avoir éliminé (selles, urine, règles, sang, larmes, émotions, etc.) ; Vâta se sent moins bien en automne et au début de la saison froide : il a souvent du mal à s’adapter et à franchir les changements saisonniers, il est souvent aggravé lors d’un passage d’une heure à une autre.

 

Pitta est aggravé par la chaleur et la saison chaude qui le fatigue extrêmement ; les nourritures riches, le sel (vers lequel il est attiré naturellement), les viandes rouges, les saveurs épicées et aigres (acides) augmentent son feu intérieur, renforçant ses tendances colériques, son irritabilité et son autoritarisme ; l’irrégularité des repas, les médicaments, l’alcool, la peur de l’échec (Pitta est orgueilleux), le fait de faire des efforts physiques en milieu de journée sont autant de facteurs le déséquilibrant ; le travail intellectuel intensif et le flot de pensées abîment son énergie.

 

Kapha est aggravé par le froid, la saison fraîche, le vent et les courants d’air : il prend froid facilement, s’enrhume pour un rien ; par la sieste (qui est pourtant sa tendance naturelle), le sommeil excessif (10-12 heures lui semblant nécessaires pour se sentir reposé) et le manque d’exercice (Kapha tend à se figer, à se scléroser), le fait de ne rien faire et de continuer à manger alors qu’il est rassasié : Kapha mange trop et mal (déséquilibré) : il est attiré par le sucré, la viande, les graisses, les fritures, le lait, le fromage qu’il ingurgite en excès : Kapha est avide (de tout) ; les tranquillisants et les sédatifs renforcent l’asthénie naturelle de son esprit ; le doute, les émotions (qu’il ressasse et dans lesquelles il se complaît), la possessivité et le manque de compassion le corrompent.

 

  • Caractéristiques physiques des Dosha

 

Chaque Dosha présente des caractéristiques particulières permettant de les distinguer les uns des autres.

 

Vâta a la peau fine, à tendance sèche et au teint frais. Ses tissus peuvent être rêches. Les cheveux sont fins et abondants, foncés en général, bouclés ou crépus, voire secs. Vâta présente une grande sensibilité au vent qui peut modifier la tessiture de sa peau comme l’état de son cuir chevelu. Le visage est long, parfois anguleux, avec un menton souvent peu développé. Le cou est mince voire maigre chez certains. Le nez est étroit, asymétrique, petit ou long, bombé ou crochu. Les yeux ressemblent à une fente, ils sont enfoncés, petits ou étroits, de couleur foncée (vert, marron, gris), la lueur de la prunelle est froide, pénétrante, variable en fonction des émotions, les paupières supérieures peuvent tomber. La bouche est étroite, les lèvres sont serrées ou minces, voire craquelées (par sécheresse), la lèvre inférieure peut être prédominante. Le corps est mince, svelte, pouvant présenter une maigreur reconnaissable, avec des hanches et des épaules étroites, les articulations sont proéminentes et la stature est plutôt grande, plus rarement petite.

 

Pitta a la peau douce, claire et chaude, rougissant facilement au soleil et prédisposée aux taches de rousseur ou aux grains de beauté. Son teint est brillant, voire lumineux, les rides apparaissent très tôt, notamment autour des yeux et sur le front (rides horizontales). Les cheveux sont fins, doux, peu abondants, de teinte plutôt claire (châtain, blond ou roux), ils peuvent blanchir prématurément. Le visage est de forme triangulaire ou de cœur, le menton souvent pointu. Le cou est moyen, le nez également, il peut être pointu, droit et long parfois. Les yeux sont réguliers, de couleur claire (bleu, bleu-vert, vert, gris perle, noisette), la lueur de la prunelle est vive, chaude, intense et dansante. La bouche est régulière, les lèvres sont souvent entrouvertes. Le corps est harmonieux, les épaules sont souvent développées comme le thorax, les articulations peuvent saillir et la stature est moyenne.

 

Kapha la peau épaisse, froide, souvent grasse ou pâle. Les cheveux sont épais, frisés ou bouclés, parfois ondulés, lustrés ou brillants, de couleur foncée (noir ou châtain) en général. Le visage est large ou carré, plein ou rond. Le cou est solide, parfois presque inexistant (on parlera d’un cou de taureau). Le nez est épais, rond, aux narines amples. Les yeux sont grands, ronds ou larges, de couleur bleu foncé, marron profond ou noir, la lueur des prunelles est séduisante ; voire prenante. La bouche est grande, les lèvres sont sensuelles, voire épaisses et humides. Le corps est imposant, souvent bien proportionné, les épaules sont larges et les hanches fortes, les articulations sont grosses et bien formées, et la stature est grande et robuste ou petite et râblée.

 

Kapha dilaté a le corps plutôt rond, fort, pouvant présenter de l’obésité ou une tendance à la surcharge pondérale. Ses mouvements sont lents, pesants. Les cheveux sont de préférence fins. Kapha dilaté peut perdre ses cheveux assez jeune, notamment sur le dessus du crâne (chez les hommes) ou au niveau des tempes (chez les femmes). La peau est lisse à tendance grasse, la chair est abondante. Le thorax peut être plus important que les jambes, la taille est inexistante. Gros mangeur, ayant besoin de beaucoup de quantité pour être rassasié, pouvant verser vers la boulimie, c’est un être qui n’aime pas être bousculé ni être dérangé dans ses habitudes.

Kapha rétracté a le corps plutôt anguleux et sec, tendant à la maigreur, les épaules souvent voûtées. Ses mouvements sont rapides, sa démarche peut être sautillante. Les cheveux sont de préférence épais. La peau est délicate, à tendance sèche. Le visage a une apparence émaciée. Le thorax est étroit, fermé, resserré sur lui-même. Les côtes peuvent pointer. Absorbant de petites quantités de nourriture, il peut être privé sans problème de nourriture ou de boisson pendant un certain temps. C’est un être prédisposé à l’anorexie et qui a beaucoup d’inhibitions. Sursautant facilement, il tend à vouloir disparaître, à se fondre, craint la foule, la multitude, et a peur du contact physique, n’aimant pas être touché.

 

  • Troubles de santé particuliers des Dosha

 

Vâta se trouve à la source de toute douleur car c’est l’air qui conduit l’énergie là où elle doit aller. Si cet élément se trouble, l’énergie ne peut plus circuler librement faisant naître une retenue qui pourra prendre de multiples expressions : tension, nœud, contraction, brûlure, spasme, vertige, nausée, perte de goût, tristesse, découragement, fatigue, etc.

 

Vâta signe la fluidité, Pitta développe le feu intérieur et la vigueur de l’énergie interne, Kapha stabilise le terrain. Toutefois, si ce Dosha est fragilisé ou affaibli, il féconde des maux en terre s’exprimant couramment par un mal plus profond ou des lésions que l’on ne discerne pas toujours au premier abord.

 

Vâta va formuler son trouble par des craintes soudaines, une anxiété extrême, un sentiment d’insécurité, des peurs subites. Sa nervosité naturelle peut devenir exagérée jusqu’à être insupportable. Son humeur se fait cyclothymique, oscillant d’un regain bref d’énergie à une prostration intérieure profonde. Perdant son esprit créatif, il entre dans la confusion mentale, se replie sur lui-même jusqu’à refuser toute communication avec l’extérieur : il se mure, s’installant dans une tristesse irraisonnée, tout lui faisant chagrin.

 

Du côté corporel, Vâta peut avoir le ventre ballonné signant des pensées sombres (parfois destructrices ou obsessionnelles), ressentir des douleurs au bas du dos (région des vertèbres sacrées, entre le 2e et le 3e çakra), des articulations douloureuses et une raideur des muscles. Une tension générale peut se révéler.

 

Pitta va répandre son trouble par de la colère, signant un feu excessif dans le foie. Il s’installera dans la mauvaise humeur quasi permanente, tout l’irrite ou l’énerve. Il peut avoir des colères froides, devenir tranchant, violent, belliqueux dans ses propos, insultant même parfois. Ses critiques sont saignantes, sans appel. Se réfugiant dans une montagne d’orgueil, de scepticisme, il nie toute réalité autre que celle de la matière. Entrant dans la peur du pire, celle de l’échec, il peut tomber dans la haine et la jalousie, accusant tout le monde d’être ligué contre lui, ne parvenant plus à s’exprimer autrement que dans l’agressivité, faisant preuve d’un manque certain de discernement dans son raisonnement ou ses choix.

 

Du côté corporel, Pitta peut avoir des bouffées de chaleur, des vertiges, une sensation de brûlure dans tout le corps avec une prédilection pour l’urètre, les mains et les pieds. Des maux de tête apparaissent, sa peau s’enflamme rougissant très facilement, ses yeux sont rouges et sensibles car Pitta est un être qui vit en grande partie dans sa tête. Il peut ressentir des poussées de fièvre rapides, vomir ou se sentir nauséeux. Il se sent plus mal vers midi (heure du cœur), a des diarrhées et est sujet alors à des insomnies dues à l’intensité de la douleur et aussi parce qu’il a naturellement beaucoup de difficultés à s’endormir, son esprit étant traversé sans cesse d’idées, émotions ou pensées.

 

Kapha va révéler son trouble par l’ennui et l’indifférence. Se posant en éternelle victime, il a le sentiment d’un manque de soutien ou d’écoute de la part de son entourage. Il devient possessif, faisant tout pour retenir l’autre, pouvant jouer les éploré(e)s, comme les abandonné(e)s, les mal-aimé(e)s mais toujours sous couvert de menaces (indirectes) ou de chantage (affectif). Il peut développer un comportement obsessionnel, dévoilant divers troubles du comportement : manie de la propreté à outrance, peur de salir les mains ou d’être sali, paranoïa, dédoublement de la personnalité, etc., Kapha étant un terrain malléable, propice aux névroses et aux psychoses en tous genres.

 

Kapha dilaté se sent accablé, tout lui pèse, le moindre mouvement, la moindre réflexion. Devenant inerte, il ne veut plus rien faire, peut même refuser de marcher. Tout lui est pénible, lui rappelant sa souffrance, il présente un manque d’intérêt pour tout, plus rien ne l’intéresse mise à part sa douleur. Il se sent fatigué, ne pense qu’à dormir (il s’oublie dans le sommeil), devient léthargique et tend à prendre du poids.

Kapha rétracté se recroqueville sur lui-même, dans son monde personnel, aspire à s’isoler, à se retirer à l’intérieur de lui, courbé sur des pensées qu’il ne cesse de ressasser, fait preuve d’un réel manque de gentillesse. Son esprit s’assombrit, se complait dans l’obscur, il s’immerge dans l’étude et le savoir. Le regard perd de son intensité, s’assombrit. Son corps (comme son cœur) se durcit et se rigidifie, s’ankylose et se raidit.

 

  • Douleurs des Dosha

La douleur ressentie provenant d’un excès de Vâta est irradiante, changeante (bougeant sans cesse d’endroit), lancinante, pulsative, floue et indéterminée. Elle peut perturber le sommeil jusqu’à l’empêcher. Elle va et vient de façon fluctuante, et n’est pas toujours aisée à spécifier. La douleur de Vâta est aggravée par le froid et soulagée par le chaud.

 

La douleur ressentie provenant d’un excès de Pitta obstruant Vâta est brûlante, aiguë, poignante, pénétrante, coupante. Elle est intense, excessive ou extrême : ne connaissant pas le juste milieu, Pitta décompense très brutalement, sans que rien ne laisse présager son effondrement.

 

La douleur ressentie provenant d’un excès de Kapha obstruant Vâta est profonde, lourde, souterraine, et peut exister depuis très longtemps. Kapha s’installe souvent dans le chronique, derrière une apparence de force tranquille et de bonne santé.

Chez Kapha dilaté, la douleur est atone, pesante, puissante, accablante. Il tend à geindre, se plaindre même dans son sommeil. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas.

 

Chez Kapha rétracté, la douleur est palpitante, douce, pinçante, silencieuse. Il se tait et se terre, s’enfermant autour d’elle. Elle peut devenir une béquille qu’il a parfois du mal à lâcher.

 

  • Etats psychiques des Dosha

 

Selon la psychologie indienne, le psychisme est vu comme un pont entre l’âme et l’esprit. Lieu de parole, d’échange et de passage, il permet à l’être d’aller de l’esprit à l’âme, de l’âme à l’esprit. Situé entre l’âme et l’esprit comme un point essentiel, il est lieu de rétention et résistance, d’opposition et de séparation, de distance et de distorsion, il est un gué parfois difficile à franchir, mais l’Âyurveda rappelle que la majorité des affections, incluant épidémies et maladies infectieuses, présentent des incidences psychiques. Aussi, il est fortement recommandé d’écouter ce qui se dit au niveau psychologique. S’exprimant par la parole, le psychisme est l’ambassadeur des mots de l’esprit et des maux de l’âme, son langage est parfois surprenant et déroutant, aux tournures insolites et dérangeantes. Lorsqu’il se trouble, la gorge se bloque, les mots ne parviennent plus à passer le détroit, ils se sentent à l’étroit, contraints d’effectuer un aller-retour qu’ils ne souhaitaient peut-être pas accomplir. Forcer le psychisme à exprimer comme tenter de lui soustraire ce qu’il ne saurait dire, est considéré comme nuisible par les penseurs indiens. Le psychisme est un point délicat où s’articule l’existence : il invite à choisir, à faire le choix de la transparence en traversant, celui de la lourdeur en s’arrêtant et de l’opacité en se détournant : l’opacité sépare, divise, fige l’être alors que la transparence, la pureté relie, unit et console.

 

Vâta possède un système nerveux irritable et sensible. C’est un être qui perd facilement ses repères et le contrôle de soi-même. Touche-à-tout, il survole facilement les choses et reste dans la légèreté et la superficialité. Être de ravissement et de désir, il adore apprendre, découvrir, s’amuser, se faire plaisir. C’est aussi un penseur apte à inventer et à impulser des projets, mais tend à ne pas agir, ou alors avec beaucoup d’efforts. Il se laisse couramment submerger par le quotidien qui le dépasse, vivant bien plus dans l’imaginaire que dans la réalité qu’il fuit, parce que cela l’ennuie et ne l’intéresse pas. Etre craintif et anxieux, Vâta est un très grand créatif, au tempérament actif mentalement, rapidement fatigable avec des problèmes de mémoire : il n’a pas forcément la notion du temps ni le souvenir des dates. Indépendant, extrêmement nerveux (il y a toujours une partie de son corps qui bouge), il est plus à l’aise dans l’amitié que dans le sentiment amoureux qui lui fait peur. Il recule devant l’engagement car il le ressent comme une perte de sa liberté. Bien que très entouré et que les autres et le monde, l’attirent, le motivent, Vâta est un solitaire, qui a besoin d’être seul pour créer, rêver ou penser. Il se réfugie aisément à l’intérieur de lui pour réfléchir, mettant de la distance entre le fait, l’autre, l’émotion ou la pensée : c’est un être frileux qui ne donne pas aisément sa confiance ni son cœur. Au fond de lui, il recherche l’âme-sœur.

 

Vâta s’épanouit dans l’enthousiasme, la liberté (c’est un libre penseur), la générosité, la joie, l’ardeur (lorsqu’il se trouve dans un lieu approprié à son énergie et à ses goûts), la créativité quelle qu’elle soit  (broderie, écriture, jardinage, danse, lecture, musique, poésie,…) car il la ressent comme vitale pour se sentir vivre. Hyper-affectif, il est exceptionnellement sensible aux ambiances, a besoin de toucher, palper l’atmosphère (émanant d’un lieu, d’une personne, de la nourriture) avant d’aller plus loin. Il est dans le ressenti tactile, sens qui peut être particulièrement développé. Son esprit possède un sens artistique et créatif très sensitif et souvent singulièrement prolifique. Faisant preuve d’une grande imagination, il a toutefois des difficultés à mettre en pratique ses idées, car il est sans cesse sollicité par de nouvelles inspirations ou par l’extérieur (il picore…).

 

Pitta s’exprime dans la force, la puissance et la vigueur. Sa pensée est précise, logique, raisonnée et ordonnée, son mental passionné, à la concentration aisée. C’est un intellectuel rigoureux, précis, maître de ses savoirs, avec de très fortes convictions, tout à fait capable de mener ses projets à terme. Ses réactions mentales aux stimuli extérieurs sont vives. Actif, doté d’une très grande connaissance, il n’accepte pas la contradiction, se sentant détenteur d’une vérité qu’il considère parfois comme absolue. Être orgueilleux, coléreux, il peut être jaloux, possessif, violent, et verser dans les extrémismes, nier la spiritualité, refuser la religion ou, au contraire, entrer dans une foi fondamentaliste, rejetant tout ce qui n’est pas dans sa ligne de croyance. Fortement ambitieux, il mise souvent sur la renommée et la réussite professionnelle : il a soif et un fort besoin d’être reconnu, cachant un manque de sécurité intérieure ou de confiance en sa sensibilité et sa sentimentalité qu’il renie trop souvent. Masquant son émotivité derrière une apparence détachée ou farouche, hypersensible, il se vexe facilement, prend la mouche aisément, s’emporte rapidement et à la moindre raison. Fougueux, il ne sait pas se raisonner : il aime ou il déteste, il n’y a pas de juste milieu, et peut tout aussi bien déchirer ce qu’il a adoré la veille, sans remords de conscience. Impulsif, il perd le contrôle de lui-même lorsqu’il est face à quelque chose (une personne, une situation, une idée) qu’il ne connaît pas ou qu’il ne maîtrise pas. Il recherche le contrôle total sur lui-même par peur de laisser apparaître ses émotions. C’est un très grand affectif qui se réfugie dans l’étude, la parole (c’est un excellent professeur) ou le silence : l’esprit le rassure, le rassérène, car il œuvre en terrain connu. L’âme le rend craintif quand il ne désavoue pas son existence. Son intuition naturelle s’estompe lorsqu’il s’agit de perceptions sensitives non palpables ; craignant de sombrer dans le délire ou la folie, il s’accroche à son intellect.

 

Pitta a cependant une grande confiance (en son destin…), possède du courage, de la détermination, de la volonté, mais tend à vouloir plier autrui à son exigence. Il a soif de connaissances, il rêve de bonheur. Très intelligent, aux capacités intellectuelles immenses, il se sent porté par une « mission ». Son esprit est vif, apte à saisir rapidement les informations reçues, les manipulant toujours à son avantage. Il a une bonne mémoire pour ce qui l’intéresse comme pour ce qu’il juge utile pour parvenir à ses fins. Lorsqu’il est déstabilisé (notamment par la mort, dont il a peur), il devient psychorigide, s’isole dans une solitude farouche, ressasse, se perd dans des pensées noires, s’assombrit, perd son éclat naturel, s’enferme dans une tour intérieure pouvant le mener à la mort psychique, si elle n’est physique.

 

Kapha, et plus particulièrement Kapha rétracté, est égocentrique, tout tourne autour de lui. Il craint l’abandon, aussi il se recroqueville sur son univers familier. Il a peur d’être abandonné comme de s’abandonner. Kapha dilaté présente une autre réaction : c’est un être très effacé, qu’on ne remarque pas en général. Aussi, il se construira à partir de la colère (prendre sa revanche pour dire qu’il existe) et de la séduction (lorsqu’il veut obtenir quelque chose de précis), pouvant alors devenir envieux, avide et possessif à outrance. Lorsque Kapha décompense, cela peut aller jusqu’à la destruction complète de son monde, au sens propre comme au figuré.

Kapha peut faire preuve de contentement, de foi, de patience et de tendresse lorsqu’il trouve son équilibre affectif, s’il est consolé et sécurisé. Son mental s’épanouit dans l’attention, la concentration, la compassion. Son intellect est stable et fiable, lorsqu’il est tranquillisé, rassuré. Il peut se satisfaire facilement s’il est nourri au niveau de l’esprit, sauf pour Kapha rétracté, éternellement insatisfait de tout : il y a toujours un « mais » dans ses réactions. Capable d’accomplissement et de réalisation, il est infiniment patient et ira jusqu’au bout de ce qu’il entreprend, bien qu’il lui faille simplement beaucoup plus de temps qu’aux autres. Il est intelligent mais met du temps pour apprendre et assimiler. Il a en revanche une excellente mémoire, se souvenant de tout ce qu’il a appris.

 

  • Les penchants émotionnels des Dosha

 

Vâta tend vers ce qui est extrême, irrégulier, léger : il s’envole, n’a pas les pieds sur terre mais il peut aussi ne pas être relié à la terre. Il fonctionne en « hyper » : il est dans le « trop » (cela fait trop mal, c’est trop difficile ou douloureux, etc.). Le trop, chez Vâta, déstabilise l’énergie du cœur (Espace) et celle des poumons (Air), il a alors la sensation d’étouffer, de se sentir pris à la gorge (au sens propre et figuré).

 

Pitta tend vers l’excessif, l’aigu, le rapide, le supérieur. Fonctionnant en « hyper », comme Vâta, il (se) brûle, se consume, flambe : il a trop de feu dans le cœur, ce qui engendre un déséquilibre au niveau du système digestif et du psychisme.

 

Kapha, d’une manière générale, tend vers les extrêmes : le large ou l’étroit, le lent ou le rapide. C’est un être qui oscille de façon quasi permanente entre la dilatation et la rétraction, qui présente beaucoup de barrages, ceci pouvant remonter parfois à la petite enfance où l’être se sentait protégé par la mère (ou la grand-mère). Grandir a pu être mal vécu ou accepté, d’autant plus lorsqu’un deuxième enfant est né.

 

  • Feu corporel et Dosha

 

Agni digestif (Jatharagni) est fragile et est aisément troublé par un excès alimentaire ou un surmenage cérébral. Trop de boissons ou d’apport liquide dans l’organisme peut l’affecter, en effet un surplus d’humidité interne entraîne un déséquilibre de la rate, qui à son tour déstabilisera le mental, la réflexion et alourdira le corps. Quant à l’esprit devenu pesant et lourd, confus, il aura du mal à prendre des décisions, à choisir, comme à avoir un discernement juste. Les émotions étouffées, les colères ravalées, l’énervement, l’excitation extrême, le bruit, le fait de parler (trop) en mangeant aggravent Agni.

 

La CharakaSamhitâ précise que les « Nourritures et boissons sont les combustibles nécessaires au fonctionnement de la digestion. En leur absence, le feu digestif (agni) s’épuise. »[12]. Des jeûnes répétés ou prolongés troublent Agni, tout comme les grignotages inconsidérés ou les nourritures absorbées sur le pouce, rapidement, goulûment ou sans faim. Les diètes soudaines, les repas sautés, les mauvais assemblages alimentaires, l’ingestion de produits « glacés » (sortant par exemple du réfrigérateur et mangés de suite), lourds, gras, huileux, gâtés ou non frais, réchauffés plusieurs fois sont autant de facteurs à risque pour Agni.

 

Lorsque Vâta est en excès, Agni digestif est irrégulier, désordonnant la digestion, qui devient lente ou rapide, sans régularité, le déséquilibre s’accompagnant de ballonnements, de coliques, de gaz ou de gargouillements intestinaux, avec une alternance de constipation et de selles molles. Vâta fonctionne en cyclothymie, il va du côté d’où vient le vent, ne cessant de pencher d’un bord à l’autre, ayant du mal à choisir, à se raisonner : tout lui plaît, lui fait envie, c’est un gourmet qui apprécie avant tout la qualité, la recherche et la finesse des mets ; gastronome, il peut devenir glouton s’il ne parvient pas à tempérer sa nervosité ou son excitation et peut aussi manger n’importe quoi. Sa digestion est donc en dent de scie et dépend de son esprit et de ses états d’âme. Être faisant preuve d’une extrême sensibilité, facilement contrarié ou touché, il a toujours beaucoup de mal à assimiler nourritures et émotions.

 

Lorsque Pitta est en excès, Agni digestif est rapide, la digestion devenant expéditive, brûlante ou desséchante, n’apportant pas les nutriments nécessaires car trop précipitée. Le déséquilibre s’accompagne de gorge et lèvres sèches ou de palais asséché. Pitta brûle du dedans, par colère, impatience, empressement et précipitation. N’aimant pas perdre son temps, il ne sait pas rester sans rien faire, aussi le temps de la digestion est un luxe qu’il n’offre pas à son corps. Il mange vite, souvent sur le pouce, ou lorsqu’il prête attention à la nourriture, il entre dans l’intégrisme alimentaire : il est prêt à rejeter en bloc toute nourriture qui ne sera pas (considérée comme) saine. Souvent au régime, Pitta s’impose des règles strictes et tombe aisément dans les excès : partisan des diètes, jeûnes, des méthodes radicales (il n’aime que la voie directe) pour se soigner, il peut devenir fanatique, défendant coûte que coûte son avis et l’imposant à son entourage. Extrêmement directif et dirigiste dans sa vie, Pitta l’est tout autant dans son hygiène de vie. Tendu vers un idéal de reconnaissance, éperdu d’extrême, il ne peut que s’enflammer et (se) brûler.

 

Lorsque Kapha est en excès, Agni digestif devient lent, la digestion est lourde, paresseuse et tardive, tout aliment difficile à assimiler. Le déséquilibre s’accompagne de sensation de pesanteur au niveau de l’abdomen et de la tête, Kapha présentant une incapacité à digérer. Kapha dilaté est un gourmand qui mange de tout et en grosse quantité, jouisseur tendant à retenir longtemps ce qu’il absorbe, il aime ce qui est en sauce, gras ou salé, fait preuve d’un gros appétit, mangeant sans faim. Souvent perdu dans ses pensées, sur un fond de tristesse ou de dépression, Kapha dilaté se nourrit parce qu’il le faut et qu’il a besoin de s’emplir car il ne supporte pas le vide, il se sent en manque. C’est un grand affectif qui a bien du mal à surmonter ses émotions comme à apprécier ce qu’il mange. Kapha rétracté, à l’inverse, a un appétit de moineau, il picore, n’aime pas les grandes quantités, prend un petit peu de plusieurs choses qu’il ne finit pas, est très vite rassasié mais grignotant toute la journée. Sa capacité digestive est faible. Il est plus à l’aise dans la réflexion intérieure que devant la nourriture. Kapha rétracté ne ressent pas la sensation de faim, il s’alimente de presque rien, son esprit est tourné ailleurs : vivant essentiellement dans sa tête, c’est un méditatif, perdu souvent dans le passé et les souvenirs.

 

La parole du corps

 

En Inde, le corps a la parole, l’assise de la santé étant l’étonnant équilibre entre le corps, l’âme et l’esprit. Comprendre la maladie, ce qui perturbe, dérange (les petits malaises coutumiers), c’est comprendre le corps et l’esprit, le physique et le mental : reflet visible de ce qui trouble l’être à l’interne. Ce trouble propre à chacun génère un mal-être qui va se manifester de diverses façons selon la personne. En (se) faisant mal, le corps tente d’exprimer ce qui le dérange car c’est en lui que la maladie va prendre toute sa signification. Lorsque le corps s’emballe, s’enraille, se délabre, il est temps de s’arrêter, l’être entrant dans l’urgence. Les symptômes ne sont que le moyen trouvé par l’organisme pour dire la difficulté qu’il a à se réguler par lui-même. Ce qui gêne, perturbe, n’est pas (ou n’a pas été) digéré par la personne prend chair à travers des signes spécifiques, distinctifs, particuliers : psychiques, émotionnels, physiques, énergétiques. La révélation étant qu’il n’y a pas deux êtres semblables, il faut aller au-delà de toute vraisemblance et ressemblance. Cela semble être pareil, prendre des aspects similaires, parfois en une étroite analogie, mais ne l’est pas. L’expression de la maladie est chargée de l’histoire personnelle, familiale et congénitale, la programmation parentale et le schéma véhiculé par l’hérédité. Le corps communique par association, établissant des correspondances, parfois curieuses ou surprenantes, entre l’effet (le mal) et la cause. Il ne peut être considéré comme un objet : le corps est profondément vivant et fonctionne comme un tout, ne peut être divisé sans perdre alors sa cohésion. Changeant sans cesse, en mutation ininterrompue, il se modifie constamment, renouvelé par ce qu’il vit car il ne peut être isolé, ignoré, mis à part.

 

  • Le corps en dissonance

 

Si l’on explore les perspectives indiennes, le corps par la maladie exprime les imperfections de l’esprit : tout provient de l’esprit car tout est Esprit. Le corps souffrant manifeste un éveil de l’âme, une dissonance des Guna, un rappel à l’ordre. Il rappelle que l’être humain ne se réduit pas à la seule corporéité et dit : « J’ai mal à ma vie ». Toute maladie provient de l’intérieur de soi, discordance entre la personne (ce qu’elle est, ce qu’elle vit) et sa nature profonde, elle est une dissonance qui s’extériorise par un déséquilibre de l’une (ou des trois) Guna. Il y a déstabilisation et déplacement de l’énergie (de la qualité) concernée : « Les deux éléments psychiques (mânasa dosha) sont rajas – le feu passionnel – et tamas – la pesanteur et la torpeur. Ils sont à l’origine de désordres tels que les ravages de la passion, la colère, l’avidité, la confusion, l’envie, la vanité, la narcose, l’anxiété, la peur ou l’exaltation. »[13]. Le corps émet alors des fausses notes, en désaccord, il ne peut (ne sait, ne veut) plus être juste en lui-même. La maladie apprend à déserter l’extériorité pour revenir en Soi, elle est le signe extrême du Retour.

 

Lorsque Sattva (énergie Feu) est atteinte, l’esprit de décision diminue ainsi que la volonté et le goût de vivre. Le courage manque, l’être se traîne, il s’épuise. L’esprit devient chagrin, l’humeur se fait sombre. L’être fait du mauvais esprit, il rumine, ressasse. Ses pensées comme ses intentions sont maussades. Il se bute, devient revêche, se renfrogne.

 

Lorsque Rajas (énergie Air) est atteinte, l’être se sent sale ou sali, impropre à quoi que ce soit. Il peut devenir maniaque de la netteté mais peut tout aussi bien plonger dans l’impureté, c’est-à-dire refuser de se laver, de s’entretenir. L’être se sent rabaissé, amoindri, dévalorisé. Il tend à se couper du monde, à se déprécier. Il éprouve une sensation d’étouffement, d’être étouffé (parole, vent, personne, environnement…) et de manquer d’air.

 

Lorsque Tamas (énergie Terre) est atteinte, le corps devient lourd, pesant. L’être glisse dans l’obscurité mentale, il est incapable de raisonner avec logique, d’avoir un esprit d’analyse, de prendre du recul vis-à-vis de la situation qu’il vit. Il voit tout en noir, a peur du monde environnant. L’extérieur l’angoisse, surtout les regards posés sur son corps et notamment sur son visage.

 

  • Les désaccords intérieurs

 

Tomber malade est un trait de rupture, la vie est un cercle ouvert, la maladie un cercle fermé. La santé est l’équilibre des trois essences du Vivant comme des énergies déterminant la vie, la maladie un choix du corps, exprimant une défaillance, un fléchissement venant infléchir le cours de l’existence. La maladie naît d’une dualité, d’une séparation, de « quelque chose » qui s’est déliée : elle raconte l’être  autrement et le repense différemment.

 

  • Le corps du mal

 

La maladie donne du corps (matérialise, incarne) à ce qui a atteint, touché, ébréché l’être dans son intégrité, son  identité. Abîme du corps, elle révèle et transcende la blessure, il demeurera toujours un inconnu du corps, une inconscience de la pensée. Être à l’écoute des signes (symptômes) c’est se mettre à l’écoute de la partie non consciente de l’être : ce « Soi » (Âtman) emprisonné dans les tréfonds de la conscience parce que le droit de participer à la nature de l’être ne lui est pas donné. Or, c’est dans cette partie non consciente que se trouve le noyau du Moi, le cœur de l’âme. L’enfermement infligé fait naître des mots mal dits, des maux troublants, signant la fermeture et la rigidité, désigne les résistances et les négligences.

 

Moyen sublime de connaissance, c’est par le corps que l’on parcourt, apprécie, prend contact avec la vie. La maladie emprunte le même chemin. Chacun est maître des maux : si l’on est bien, on se fait du bien, on fait du bien à tout ce qui existe. La maladie ressemble à chacun, elle n’est pas un élément antagoniste, ne s’oppose pas, n’est pas opposée à ce que l’on est. Bien qu’elle puisse sembler un élément dangereux, elle est mise en alerte, avertissement, signe avant-coureur, témoignant de l’impossibilité que l’être a à se rencontrer. Parce que l’on se sent inachevé, la maladie est conscience d’un manque, elle se fait douleur : on réalise que l’on ne peut se suffire à soi-même, que le petit Moi est bien étroit pour la largesse de l’âme, que l’on se trouve entre ce que l’on possède et ce que l’on désire. Le Moi a besoin d’un renvoi, d’un retour à la ligne, marque de reconnaissance : si la nature originelle est reconnue comme d’essence divine, l’être peut guérir de son sentiment d’exil et de vide, d’avoir perdu quelque chose d’essentiel. La maladie est le sens du Divin, forçant à descendre au fond de l’être matériel, à inverser la dynamique, à ne plus s’exprimer vers l’externe mais bien à faire un retour vers l’interne, à retrouver le chemin du Soi (Brahman) et à opérer une subtile osmose avec la réalité spirituelle du Moi et de toutes les composantes de l’univers.

 

  • Le corps altéré

 

Par le biais des perceptions sensorielles et de l’esprit, le corps engrange des milliers d’informations depuis sa conception jusqu’à sa disparition. L’altération corporelle est sensible dès le plus jeune âge et se manifeste par des troubles émotionnels, des besoins surabondants et des débordements caractériels, ceux-ci s’évacuant rapidement, du fait qu’un enfant ne se retient pas, il exprime spontanément ce qu’il ressent. Mais les dommages s’amplifient au fil des années, ils sont liés à l’éducation, les interdictions parentales, sociales ou communautaires, le contrôle et la maîtrise excessifs des sensations, l’effusion immodérée des humeurs (aversion, convoitise, lubie, contrition, etc.) : « On ne doit pas exiger trop des organes des sens, ni les négliger. On n’agira jamais sous l’emprise de l’émotivité, de la peur ou de l’excitation. Et on ne peut vivre dans la douleur ou le chagrin permanents. »[14]

 

Les maladies n’apparaissent par hasard ni au hasard, elles suivent un fil conducteur précis et inné. Ordinairement induites par la dénaturation des perceptions, les indispositions dérivent soit d’une connexion parasite par usage abusif des sens (ouïe, odorat, goût, vue, toucher), d’un excès (trop sollicité) ou d’une déficience (mise en sommeil, inutilisé), d’une aggravation (augmentation), d’une insuffisance ou d’un dérèglement (en désaccord : par opposition) sensoriel, soit d’une incohérence de l’intelligence ou d’une erreur de entendement corrompant le mental. L’affection mentale se reconnaît à l’altération de l’esprit et sa déformation intellectuelle où truquage, désordre, défaut contaminent l’appréciation et les facultés discriminatives, l’esprit se trouvant sous la dépendance des penchants, des possessions et des plaisirs : « Quant à la perversion de l’esprit, ses symptômes ne trompent pas : peur, accablement causé par le chagrin, colère, avidité, confusion mentale, envie et formulation de concepts insensés. »[15]

 

  • Le corps émotionnel

 

L’être, homme de désirs et de sensations, manifeste le « je » (personnel), possédant un sens aigu du Soi individuel, au sein duquel les émotions et l’ego trouvent un champ d’existence, une terre sur laquelle le « je » va croître, évoluer, apprendre, grandir, comprendre. Les émotions emportent l’être dans un tourbillon incessant entraînant l’esprit dans les ténèbres de l’Ignorance. Reconnues comme nécessaires et inhérentes à l’incarnation humaine, ni reniées ni repoussées, elles sont un dispositif alloué à chacun pour descendre au cœur de Soi, libérer l’âme en écartant les portes de la matière. Jetant un voile sur la conscience, secondées par l’ego, elles habillent le cœur et les sentiments de désirs. Lorsque ceux-ci ne se réalisent pas ou du moins végètent, l’être se trouble, se disperse dans la résolution des insatisfactions, perdant de vue le Soi incarné en lui (Purusha).

 

Le filet émotionnel trace un canevas subtil, tissant des nouures au creux des organes, des tissus vitaux et cellulaires. Eléments, émotions et organes entrent en résonnance subtile faisant jaillir des maux singuliers coalisés, venant exprimer un mal-être particulier et propre à chacun. L’alliance du somatique et du psychique, et leur interaction, offre une grille de lecture permettant de décoder les maladies dites psychosomatiques, déjà reconnues par l’Âyurveda : « Parfois les maladies psychiques et somatiques se développent de concert et sont étroitement liées, comme, par exemple, la passion (kâmâdaya) et une forte fièvre (jvarâdaya). »[16]

 

Un système de mise en relation entre organes, énergie (élément cosmique concerné) et réaction émotive, de cause à effet, a été établi, ainsi :

–          Les glandes surrénales, d’énergie Eau et Terre, avec l’anxiété et l’impression de manquer de soutien affectif.

–          La Vessie, d’énergie Terre, avec l’insécurité, le manque de confiance et la crainte de l’abandon.

–          Le Côlon, d’énergie Air, Espace et Terre (impliquant la sphère intestinale), avec la nervosité et la crainte du pire.

–          L’Intestin grêle, d’énergie Espace, avec le sens de l’échec et le sentiment d’impuissance.

–          L’Estomac, d’énergie Eau, avec le vide intérieur, l’insatisfaction et le manque de plénitude.

–          La Vésicule biliaire, d’énergie Feu, avec le sentiment de haine, l’agressivité et l’irritation permanente.

–          Le Foie, d’énergie Feu également, avec toutes les formes de colère (colère rentrée, exprimée ou intériorisée, malentendu, non-dit, etc.).

–          Le Cœur, d’énergie Espace, avec la sensation de profonde blessure et l’impression de manquer d’amour, s’accompagnant d’une grande exigence personnelle.

–          Les Poumons, d’énergie Air, avec la tristesse, le chagrin et les états de dépression, touchant, par répercussion, le Gros intestin.

–          La Rate et le pancréas, d’énergie Eau, avec l’attachement, la possessivité et les pensées obsessionnelles.

 

Conclusion

 

L’Âyurveda offre et transmet une expérience de vie fondamentalement vivante. Elle nous engage, nous responsabilise, et nous ouvre aussi de nouvelles portes de réflexion sur le sens de la maladie. Elle a influencé toutes les médecines traçant les lignes de ce que serait la santé parfaite si nous écoutions notre nature profonde et si nous acceptions l’évidence de notre appartenance à part entière à l’Univers.

 

Sylvie Verbois

 



[1] Section I, chapitre I, [41-42].

[2] Section I, chapitre XXX, [22].

[3] Artha (masculin) : but, cause, motif ; avance pratique, utilité, récompense ; chose, objet ; fait, réalité ; propriété, biens ; affaire, cas ; sens, signification ; membre viril.

[4] Kâma (masculin) : désir, amour, passion ; objet du désir, de l’amour ; Dieu de l’amour.

[5] CharakaSamhitâ, Section I, chapitre I, [46-47].

[6] CharakaSamhitâ, Section I , chapitre XXV, [45-47].

[7] CharakaSamhitâ, Section I – chapitre XXVII, [348].

 

[8] CharakaSamhitâ, Section I, chapitre XXVII, [342].

[9] CharakaSamhitâ, Section IV, chapitre VI, [4].

[10] Dosha (masculin neutre) : imperfection, défaut. Vice, faute, erreur, manquement. Manque, inconvénient, désavantage. Transgression, tort, péché, crime, outrage. Dommage, effet désastreux, conséquence fâcheuse. Malignité, méchanceté. Fait de dénigrer, accusation, reproche. Défaut de style ou de composition. Soir, obscurité. Dosha guna : bonnes et (ou) mauvaises qualités.

[11] Les produits de synthèse sont des substances chimiques autorisées telles que les additifs alimentaires (les fameux « E », 150 répertoriés), conservateurs, agents anti-oxygènes, agents de texture, colorants, exhausteurs de goût, etc.

[12] Ibidem, [342].

[13] CharakaSamhitâ, Section III, chapitre VI, [(5].

[14] CharakaSamhitâ, Section I, chapitre VIII, [27].

[15] Ibidem, [39].

[16] CharakaSamhitâ, Section III, chapitre VI, [8].

 

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